D’après l’ONG Global Footprint Network (GFN), chaque année depuis 1970, l’humanité consomme plus de ressources que la planète ne peut régénérer en une seule année. Aujourd’hui, le jour du dépassement interviendrait le 29 juillet. Autrement dit, pour vivre de manière durable, nous aurions besoin d’avoir 1,75 planète. Mais ce chiffre a-t-il une réelle valeur scientifique ? Peut-on vraiment se fier à cet indicateur ? C’est ce que nous allons essayer d’analyser dans cet article.
Quelques rappels sur la méthode de calcul
Selon la définition de GFN, « la date du Jour du Dépassement Mondial est calculée en comparant la consommation annuelle de l’humanité en ressources écologiques (Empreinte Ecologique) à la capacité de régénération de la Terre (biocapacité). »
Afin d’être un petit peu plus précis, l’empreinte écologique et la biocapacité sont découpées en 6 composantes :
- Cultures,
- Pâturage,
- Espaces forestiers,
- Zones de pêche,
- Espaces bâtis,
- Empreinte carbone.
Chaque composante représente une surface biologiquement productive et s’exprime en hectare global.
Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas encore fait et qui voudraient en savoir plus sur le sujet, je vous invite à consulter mon précédent article intitulé « Tout sur comprendre le jour du dépassement ». Dans cet article, la méthode de calcul est plus détaillée et une analyse des résultats est proposée. Vous trouverez également le jour du dépassement calculé pour le mode de vie d’un français.
Avant d’aller plus loin
Avant de poursuivre cet article, j’aimerais que vous preniez quelques minutes pour vous faire votre propre opinion du jour du dépassement. Est-ce un indicateur fiable ? Scientifique ? Quelles sont les limites du calcul ?
N’hésitez pas à poster votre analyse dans l’espace dédié aux commentaires.
Le jour du dépassement : une méthode scientifique ?
C’est une certitude, le jour du dépassement fait grandement parler de lui. Les médias, les politiques et les particuliers l’utilisent chaque année pour faire passer leurs messages. Et l’on peut dire que ça marche, qui parmi vous n’avait jamais entendu parler du jour du dépassement ? Mais que vaut réellement la méthode de calcul utilisée par GFN ? Est-elle vraiment fiable ?
Une chose est sûre, je ne suis pas le seul à m’être posé la question. A travers le monde, quelques spécialistes de l’environnement et du changement climatique ont ouvertement critiqué la méthode.
Dans un article publié dans le Guardian, Leo Hickman, conseiller en chef sur le changement climatique au WWF-UK, note la chose suivante :
« Le jour du dépassement semble comparer des pommes et des poires dans sa recherche d’une conclusion synthétique composite. Après tout, comment rassemblez-vous des faits concernant, par exemple, les émissions de gaz à effet de serre, la destruction de la forêt pluviale et les rendements de maïs, pour arriver ensuite à un chiffre aussi rigide et singulier ? »
Je suis plutôt d’accord avec cette remarque. Dans mon précédent article, je mentionnais déjà que le changement climatique était un sujet bien trop complexe pour être résumé en un seul chiffre. Pour en arriver là, il y a forcément des paramètres qui ne sont pas pris en compte par la méthode.
Pourtant, Global Footprint Network a fait preuve d’ingéniosité en créant cette méthode de calcul. Rappelez-vous, pour regrouper toutes ces données, ils ont inventé l’hectare global : une unité qui rend compte de la surface biologiquement productive de chaque composante. Et c’est plutôt malin car à première vue, la superficie semble être le seul facteur commun que l’on puisse trouver entre ces différentes données. Mais l’hectare global peut-il à lui seul prendre en compte tous les paramètres du changement climatique ? Malheureusement, je ne pense pas… Pour moi, l’hectare global ne prend pas en compte un grand nombre de paramètres importants (détaillés dans les paragraphes suivants) et les incertitudes sur les données d’entrées sont encore trop importantes à ce jour.
D’ailleurs, dans un article publié dans le magazine Forbes, Michael Shellenberg, un militant écologiste américain, se montre encore plus sévère : pour lui la méthode de calcul de l’empreinte écologique est mieux connue sous le nom de « garbage in, garbage out ». Comprenez que les incertitudes qui pèsent sur les données d’entrées du calcul ne peuvent donner un résultat satisfaisant en sortie.
Pour résumer les dires de ces 2 personnalités, la méthode de calcul s’appuie sur des valeurs synthétiques plus ou moins précises pour au final comparer des choux et des carottes. D’un point de vue purement scientifique, nous avons déjà vu mieux.
Origine de la méthode
Le concept d’empreinte écologique est né dans les années 90 suite aux travaux de Mathis Wackernagel et William Rees. Leur objectif ? Faire progresser le plus grand nombre de personnes possibles sur le sujet du développement durable. Et c’est là toute la difficulté de leur projet. Comment rendre un sujet aussi sensible et complexe que le développement durable compréhensible par le plus grand nombre ? Ce n’est pas si simple. Dit de manière différente, à quoi pourrait donc servir une étude parfaitement complète que seul 1% de la population pourrait interpréter ? GFN a donc fait le choix de partir sur un compromis entre la fiabilité des résultats et leur facilité de compréhension.
Et je pense très sincèrement qu’ils ont fait le bon choix car aujourd’hui, leurs travaux sont relayés dans le monde entier et grâce à eux, un grand nombre de personne est aujourd’hui sensibilisé au changement climatique.
Mais vous l’aurez compris, un tel compromis ne permet pas de prendre en compte un certain nombre de paramètres qui ont pourtant leur importance. Essayons d’en déterminer une partie ensemble. (Encore une fois, le sujet est si complexe que tous les points ne pourront pas être étudiés ici, mais libre à vous de partager les limites que vous avez identifiées dans l’espace dédié aux commentaires).
Quelles sont les limites de la méthode ?
Commençons par analyser l’empreinte culture. Dans son glossaire, GFN indique qu’à ce jour, le calcul de l’empreinte écologique ne prenait pas en compte la dégradation de la qualité des sols liée à la pratique d’une agriculture non durable. La méthode permet seulement de calculer une surface biologiquement productive.
Pourtant aujourd’hui, de nombreuses études pointent du doigt les conséquences désastreuses de l’agriculture intensive. Erosion des sols, épuisement et pollution des réserves d’eau potable, utilisation massive de produits phytosanitaires dangereux pour l’environnement et la santé… Malgré leur importance, tous ces paramètres ne sont aujourd’hui pas pris compte par la méthode. Pourquoi ? Par manque de données ou par manque de cohérences entre les données.
Il ne faut pas perdre de vue que si nous détruisons nos sols à cause d’une agriculture non durable, nous devrons en trouver d’autres ! Mais aurons-nous d’autres choix que d’abattre encore plus de forêts ?
En ce qui concerne l’empreinte zone de pêche, là encore, GFN indique dans son guide de travail les limites de sa méthode de calcul. Le problème ici concerne le degré de précision des données d’entrées. En effet, l’incertitude sur les rendements des pêcheries par espèce est grande et par conséquent, cette analyse peut surestimer la biocapacité disponible des pêcheries chaque année. Comment émettre une conclusion sur notre utilisation des zones de pêche si nous surestimons la biocapacité ? Difficile à dire.
Par ailleurs, je me demande si la méthode intègre le prélèvement de ressources issues de la pêche illégale ? Selon le WWF, celle-ci représente tout de même près de 20% des captures mondiales. Autant dire qu’il s’agit là d’un paramètre non négligeable.
Mais c’est bel et bien l’empreinte carbone qui suscite à ce jour le plus grand nombre de critiques. En effet, GFN part du principe que la totalité des émissions de carbone pourraient être à nouveau séquestrées dans la biosphère si seulement nous disposions de suffisamment de puits de carbone pour les absorber. Pour faire simple, GFN mesure donc une surface de biosphère (ou plus simplement, une surface forestière) dont nous aurions besoin pour capturer toutes nos émissions de carbone.
Bien qu’ingénieuse, cette méthode présente plusieurs limites. Premièrement, parmi les 6 composantes de l’empreinte écologique, l’empreinte carbone représente à elle seule plus de 60% de notre déficit écologique (détaillé plus tard).
Ensuite, le coefficient qui permet de convertir des tonnes de carbones émises dans l’atmosphère en surface de biosphère peut être remis en question. En effet, selon l’âge et le type de forêt, les quantités de CO2 absorbées peuvent être sensiblement différentes. Pour choisir ce coefficient, plusieurs hypothèses fournissant des résultats différents peuvent être envisagés…
Enfin, cette méthode de calcul ne laisse aucune place à l’innovation. Planter des arbres est certes une solution permettant de limiter les émissions de carbones mais ce n’est pas la seule. Améliorer l’efficacité énergétique de nos produits et par la même occasion, remplacer les centrales fonctionnant grâce à la combustion d’énergie fossiles par des énergies renouvelables en est une autre (procédé appelé décarbonisation ou décarbonation).
Des sujets sensibles qui ne sont pas abordés par la méthode ?
Vous l’aurez compris, la méthode de calcul se concentre essentiellement sur 6 empreintes écologiques.
Malheureusement, le changement climatique est bien plus complexe que cela. Un certain nombre d’éléments de sont pas analyser du tout par GFN. Je n’ai malheureusement pu trouver aucune donnée sur les thématiques suivantes :
- Pollution et consommation des réserves d’eau potable ;
- Consommation des minerais ;
- Conséquences des déchets nucléaires ;
- Taux d’extinctions des espèces perturbant ainsi l’équilibre du cycle de la vie ;
- L’érosion des sols qui grignote chaque année un petit peu plus les surfaces habitables ;
- La production de déchets non recyclables (plastiques, électroménagers, vêtements pour n’en citer que trois) ;
Malgré que cette liste soit non exhaustive, cela fait tout de même déjà pas mal d’informations qui ne sont malheureusement pas prises en compte. Mais encore une fois, cela fait partie du compromis prit par GFN.
Une méthode encore en cours de développement
Sur son site internet, GFN indique affiner régulièrement sa méthode de calcul. Bien évidemment, cela est tout à leur honneur car le développement des connaissances est le fondement même de la science.
Mais comprenez par-là que la méthode n’est pas parfaite et qu’il est impossible de connaître le degré de précision réel du résultat avec la méthode actuelle. Comment affirmer avec certitude que le jour du dépassement 2019 est exactement le 29 juillet par exemple ? Quelle est la marge d’erreur ? Nous ne pouvons pas savoir…
Mais il y a un autre problème… Comment savoir si les données d’entrées du calcul sont bonnes ? Dans l’article « le casse-tête de l’empreinte écologique » paru dans l’Usine Nouvelle, on apprend qu’à ce jour, il existe une multitude de méthodes et de normes de calculs. Par exemple on ne calcule pas de la même manière l’empreinte carbone d’une société, d’un produit, d’un projet. Mais il y a plus délicat encore, d’un pays à l’autre, ces normes peuvent changer.
Il n’y a donc aucun consensus sur la méthode de calcul de l’empreinte carbone. Sans consensus sur les données d’entrée, comment pouvons-nous conclure sur le jour du dépassement ?
Des résultats qui peuvent porter à confusion
Si l’on pousse l’analyse des résultats fournis par GFN, on observe que notre déficit écologique provient majoritairement de nos émissions de carbone dans l’atmosphère.
D’ailleurs, si l’on en croit ce graphique, il « suffirait » de diminuer par 3 nos émissions de carbone dans l’atmosphère pour retomber sur une seule planète.
Mais il y a plus troublant encore. Parmi les six mesures qui composent l’empreinte écologique, cinq d’entre elles, sont soit en équilibre (c’est le cas de l’empreinte culture et de l’empreinte zones bâties), soit excédentaires (pour les empreintes pâturage, espaces forestiers et zones de pêche).
Alors que penser du jour du dépassement ? Notre « déficit écologique » provient-il exclusivement de nos émissions de carbone dans l’atmosphère ? C’est en tout cas ce que peuvent laisser penser ces résultats.
Alors pourquoi s’embêter avec tout cela ? Encore une fois, l’objectif de GFN est de sensibiliser le plus grand notre au développement durable. Or, de nombreuses études montrent aujourd’hui que l’urbanisation, l’agriculture, l’élevage, la pêche et la déforestation engendrent de lourdes conséquences sur l’environnement. Toutes ces données font donc pleinement parties de notre empreinte écologique et il est tout à fait logique de les inclure au calcul.
Un message à double tranchant
La plus grande force du jour du dépassement est de faire réagir le grand public. Le message est clair, net et facile à comprendre. Mais pour moi le message est à double tranchant. Il peut très bien motiver les personnes à agir, comme il peut les décourager.
Si toute l’humanité tout entière vivait comme nous le faisons actuellement en France, nous aurions besoin de 2,9 planètes selon les calculs fournis par GFN. Comment voyez-vous les choses ? Etes- vous optimiste ? Pensez-vous que tout est peine perdue en voyant ce chiffre ? N’hésitez pas à répondre dans l’espace dédié aux commentaires =)
Doit-on oublier la date du jour du dépassement ?
Si vous avez lu mon précédent article, vous devriez déjà avoir une petite idée de mon opinion sur le sujet. Pour moi il est bien évident que nous ne devons pas oublier la date du jour du dépassement.
Tout d’abord, nous avons vu au travers de cet article qu’un grand nombre de paramètres n’avaient pas été pris en compte dans le calcul. J’ai donc le sentiment qu’une méthode plus détaillée et plus complète ne pourrait donner qu’un message encore plus alarmiste de la situation actuelle. Autrement dit, j’ai le sentiment que les résultats fournis par GFN ne sont pas forcément surévalués.
Ensuite, je pense que nous devrions plus voir la date du jour du dépassement comme un indicateur utile plutôt qu’une valeur absolue. Bien que le résultat final soit discutable, la méthode a tout de même le mérite d’être plutôt pertinente en comparatif. Etant donné que la méthode appliquée est sensiblement équivalente d’un pays à un autre et d’une année à l’autre, il est possible de suivre l’évolution de notre empreinte écologique. Et malheureusement, depuis 1970, nous ne faisons qu’aggraver la situation…
Enfin, rappelons que l’objectif principal du jour du dépassement est de sensibiliser un maximum de monde au développement durable. Et jusqu’à maintenant, cet objectif est plutôt bien rempli. Les 6 composantes de l’empreinte écologique n’ont pas été étudiées par hasard. Même si les résultats laissent à penser qu’il « suffirait de diminuer par 3 » nos émissions de gaz à effet de serre, il est bien plus facile d’agir sur 6 composantes qu’une seule. D’autant plus qu’il y a beaucoup de progrès à faire dans chaque domaine.
Avant de vous laisser, j’aimerais terminer cet article avec une petite note positive. Soyez optimistes, je suis persuadé qu’il existe des centaines de solutions pour tenter de redresser la situation. C’est la raison principale qui m’a poussé à lancer ce blog.
Cet article est maintenant terminé. Je vous remercie pour votre attention. Si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas à les poser en commentaires. Et surtout, pensez à partager cet article au maximum pour faire évoluer les mentalités =)
Article similaire :
I was looking at some of your content on this internet site and I believe this
site is real instructive! Keep on putting up.Money from blog